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La censure au Liban

Liberté de la presse: rapport annuel 2002

L’année a été marquée par l’arrestation de plus de deux cents militants chrétiens anti-syriens accusés de « complot anti-syrien tramé avec les Israéliens ». Deux journalistes réputés ont par ailleurs été victimes de harcèlement en raison de leurs articles critiques sur les agissements de l’armée. De manière générale, les journalistes ne sont pas à l’abri de rappels à l’ordre, voire de menaces, de la part de la Sûreté générale.

En août 2001, les services de renseignements de l’armée ont arrêté plus de deux cents militants chrétiens anti-syriens accusés de « complot anti-syrien tramé avec les Israéliens ». Quelques jours après ces rafles, un communiqué du Conseil des ministres précisait que le ministère de l’Information était « chargé d’appliquer les dispositions de la loi sur les médias » pour arrêter le « dérapage des médias qui menace la sécurité de l’Etat ». Le Conseil national de l’audiovisuel (CNA) avait préalablement transmis un document au Conseil des ministres concernant la couverture des événements des 7 et 8 août par les médias audiovisuels. Ce rapport précisait notamment que la chaîne de télévision MTV (réputée proche du général Aoun) « n’a pas respecté le caractère pluraliste de l’information (…), a incité les spectateurs à l’inquiétude, en leur faisant redouter un changement de la nature du régime démocratique au Liban (…), a ouvertement défié les institutions politiques et sécuritaires de manière à menacer l’ordre public ».

Deux journalistes réputés ont été victimes de harcèlement en raison de leurs articles critiques sur, notamment, les agissements de l’armée. De manière générale, les journalistes ne sont pas à l’abri de rappels à l’ordre, voire de menaces, de la part de la Sûreté générale. Le paysage audiovisuel libanais demeure néanmoins beaucoup plus diversifié que celui des autres pays du monde arabe. En 2001, une sixième chaîne de télévision a été autorisée à diffuser des bulletins d’informations. NTV a ainsi rejoint Télé-Liban (officielle), NBN et LBC (appartenant à des dirigeants prosyriens ou proches du pouvoir), MTV (indépendante), Future TV (appartenant à Rafik Hariri, le Premier ministre) et al Manar (appartenant au parti chiite du Hezbollah).

Un journaliste interpellé

Le 9 août 2001, les forces de l’ordre arrêtent, devant le Palais de justice, Yehia Houjairi, cameraman de la télévision officielle koweïtienne, alors qu’il filmait la manifestation contre la rafle dans les milieux anti-syriens. Il a fallu l’intervention du président du Syndicat des photographes pour qu’il soit libéré un peu plus tard.

Deux journalistes agressés

Le 9 août 2001, Hussein el Moulla, photographe de l’agence Associated Press, et Sami Ayad, photographe du quotidien An Nahar, sont interpellés devant le Palais de justice de Beyrouth. Ils couvraient une manifestation contre la vague d’arrestations de militants et sympathisants du Courant patriotique libre (CPL) et des Forces libanaises, les 5 et 7 août à Beyrouth. Hussein el Moulla est frappé par un agent des services de renseignements en civil qu’il était en train de photographier. Sami Ayad prenait des photos de manifestants brutalisés par les services de renseignements, lorsque des inconnus lui ont réclamé ses pellicules. Suite à son refus, il a été frappé par ces mêmes personnes avant de prendre la fuite.

Pressions et entraves

Le 28 mars 2001, Samir Kassir, éditorialiste du quotidien An Nahar, se voit confisquer son passeport par des officiers de la Sûreté générale alors qu’il revenait d’Amman où il avait assisté à un sommet arabe. On lui précise que c’est « pour vérifier les conditions d’obtention du passeport ». Le journaliste avait critiqué, dans un éditorial du 16 mars 2001, les récentes démonstrations de force de l’armée et des services de sécurité dans le pays. Par ailleurs, à son retour d’Amman, durant plusieurs jours, il a été suivi par des voitures banalisées.

En 2000 déjà, le directeur de la Sûreté générale, le général Jamil Al-Sayeed, avait téléphoné au journaliste pour le menacer suite à un article paru dans An Nahar. Le journaliste y avait critiqué l’incapacité des services de renseignements à prévenir les incidents survenus entre l’armée et des islamistes armés dans le nord du pays. La Sûreté générale lui a rendu son passeport le 11 avril.

Début juin, un mandat d’arrêt est lancé contre Raghida Dergham, directrice du bureau de Al Hayat à New-York. Cette journaliste de nationalité libano-américaine ne s’était pas présentée devant le tribunal militaire le 1er juin. Elle est poursuivie pour avoir participé, le 19 mai 2000, à un séminaire organisé par le Washington Institute for Near East Policy, auquel avait participé Uri Lubrani, ancien coordinateur du gouvernement israélien pour le Sud-Liban. La journaliste est accusée de « contacts avec l’ennemi ». La loi libanaise stipule que les journalistes n’ont pas le droit de rencontrer des Israéliens. Ce procès serait également lié à sa couverture critique, en 2000, de la dispute entre le Liban et les Nations unies au sujet de la démarcation de la frontière israélo-libanaise.

Le 18 juin 2001, une équipe de CNN – composée du Britannique M. Sadler, de son cameraman allemand Christian Streib, d’un chauffeur et de la productrice libanaise, Nada Husseini – essuient des coups de feu d’origine inconnue lors d’un reportage dans la région de Hermel (nord-est du Liban), où sont cultivés des plants de cannabis. Selon M. Sadler, l’équipe est ensuite tombée dans une embuscade tendue par une dizaine d’hommes équipés de fusils d’assaut, de pistolets et d’un fusil à lunette. Ces derniers ont forcé l’équipe à descendre de voiture, tirant des dizaines de coups de feu dans tous les sens. Les assaillants ont confisqué les deux caméras des journalistes mais leur ont rendu les effets personnels qu’ils avaient également saisis.

Les 16 et 19 août, Antoine Bassil, correspondant de la télévision saoudienne MBC, et Habib Younis, secrétaire de rédaction du quotidien Al Hayat, sont arrêtés à leur domicile sans mandat d’arrêt. Leurs interrogatoires se déroulent en l’absence d’un avocat. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de rafles menées, début août, par les services de renseignements de l’armée contre des militants chrétiens antisyriens. Accusés de « contact avec l’ennemi » (Israël), les deux journalistes n’ont pas été arrêtés en raison de leur activité professionnelle.

Le 3 novembre, alors que le journaliste tunisien Taoufik Ben Brik s’apprête à quitter Paris pour Beyrouth, il est empêché d’embarquer. Le chef d’escale explique au journaliste, invité au sommet antimondialisation : « On ne peut pas assurer votre sécurité. »

http://www.rsf.org/article.php3?id_article=1408

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